J’ai encore dormi trop peu et pendant que j’essaie de récupérer quelques minutes d’un sommeil cassé entre deux pensées, Eyden vient me chercher pour me balancer la dernière bêtise de sa soeur.
Elle, elle se surpasse et semble m’envoyer un message clair : « tu n’es pas assez là alors laisse-moi faire des moments où tu l’es, un enchaînement de scènes dramatiques que tu ne pourras pas ignorer ».
Enfin un truc dans le genre.
Sauf que j’ai beaucoup trop peu dormi cette nuit et que… « I am just a girl » et je finis par craquer, à même le sol, à chaudes larmes devant mes deux enfants.
Eyden s’assoit à ma hauteur, me prend dans ses bras et essuie mes larmes du dos de sa main. « Je suis là maman » il me dit.
Eyden est grand pour son âge, je le vois.
Il a du mal à se contorsionner pour se glisser à ma hauteur et se nicher entre mes jambes.
Grand et fin.
Il n’a jamais eu un grand appétit, sauf quand il est question de sucre.
Un trait qu’il a dû hériter au carré de Ghiles et moi.
Il finit par se relever quand mes sanglots se calment et sort avec sa soeur pour me laisser reprendre mes esprits.
Quand il revient avec un mouchoir quelques minutes après, je le regarde.
Vraiment.
Je me dis que je ne les regarde peut-être pas assez mes enfants.
Enfin les regarder vraiment : leurs traits, leurs yeux, leur tête.
Après tout, ils sont toujours là, je n’ai pas vraiment besoin d’apprendre leurs traits, si ? Et quand je le regarde je me demande où est passé le temps.
Dans un mois, Eyden aura 6 ans.
6 ans,
2160 jours.
6 ans qu’il a fait de moi une maman pour le meilleur et … pour le pire.
********
Ces deux dernières années, je vous ai beaucoup écrit.
Beaucoup, et sur beaucoup de choses.
Mais je n’ai jamais réussi à vous écrire sur ça :
La maternité et tout particulièrement … la première.
Alors oui, vous trouverez plus bas la lettre que j’ai écrite à ma petite fille soleil il y a un an pour son anniversaire.
Mais je n’ai jamais réussi à écrire sur mon passage de la vie de femme à la vie de mère.
Probablement parce que je n’étais pas vraiment une femme avant de devenir mère et que le gap entre la grande adolescente que j’étais émotionnellement et la mère que je suis devenue du jour au lendemain a été (un peu trop) brutal.
Ça doit être une des raisons pour sûr, mais ce n’est pas la seule.
Comment tu poses des mots sur la chose qui t’as le plus déchiré et qui t’as donné un second souffle de vie en même temps ?
Comment tu écris sur des heures sombres et le meilleur cadeau que Dieu t’ai donné ?
C’est un sujet délicat que je n’ai aussi jamais osé aborder dans la réalité de ce que j’ai ressenti aussi, par pudeur pour toutes les femmes qui veulent devenir maman mais ne le sont pas encore.
Alors, par avance, je vous présente mes excuses sincères si vous êtes dans cette situation et que vous décidez de continuer de lire.
J’aurais parfois des mots difficiles et je vous demande de vous arrêter là si vous êtes dans un état de fragilité émotionnelle concernant la maternité.
Parfois, tout n’est pas bon à lire.
Alors pourquoi maintenant ? 6 ans après ?
D’abord et parce que je vous le dis toujours, ce que vous ne sortez pas d’une façon ou d’une autre, s’imprimera un jour dans votre corps.
Et que pour la première fois depuis que j’essaie de poser des mots dessus, ça vient, assez simplement.Et enfin, parce que j’ai la chance de suivre un certain nombre de femmes dans le cadre de mon accompagnement Brille.
Et que beaucoup sont mamans ou mamans en devenir.
Et qu’à travers leurs histoires, leurs partages et leur travail, j’ai senti qu’il y avait un vrai vide dans le partage d’expériences autour de la première maternité. Celle qui change tout.
Avant de commencer réellement, je me permets de dédier ces mots à une de mes coachées qui se reconnaîtra.
Elle qui vit une grande épreuve dans sa première maternité, me donne aussi la force de vous partager ces mots aujourd’hui.
La dernière fois que je vous ai fait un laïus aussi important avant de rentrer dans mon propos, c’était pour vous parler de mon agression.
Et tout est un peu lié en vrai.
Mais on y viendra.
Je n’ai jamais voulu être maman.
Je vous le dis encore une fois. Il est possible de s’arrêter de lire ici.
Je vous raconte ma réalité de la façon la plus honnête possible.
Mais d’aussi loin que je me souvienne, je n’ai jamais voulu être maman.
J’ai toujours pensé que je serais la tata cool de mes neveux et nièces que me donneraient mes frères pendant que je construirais ma carrière entre deux pays, entre deux avions, entre deux cadeaux que je leur rapporterai des quatre coins du monde.
Mais être maman, pourquoi faire ?
Pour ressembler à la mienne ?
Merci mais non merci.
Je ne cherchais pas à passer ma vie à faire des lessives, faire à manger ou encore à séparer des bagarres, respirer une fois par an en vacances et perdre absolument toute liberté de mouvement pour la donner à des enfants qui n’avaient qu’une hâte : s’en aller très loin et très vite du domicile familial.
Parce que c’est ce que je voyais et que je percevais de ma mère en grandissant.
La prison. Plus ou moins dorée.
Le rythme effréné et qui ne s’arrête jamais : se lever, courir, rentrer de l’école, courir encore jusqu’à dormir.
Cette organisation militaire et millimétrée qui ne laissait place ni au hasard, ni à la spontanéité, laissait peu de place au rêve et à l’évasion.
Se rendaient-ils compte de la monotonie de leur existence ?
Moi j’avais envie de mieux.
Et la seule façon d’y arriver c’était de supprimer ce qui retenait visiblement ma mère : les enfants.
Ajoutez à mon égoïsme (et clairement à mon étroitesse d’esprit à l’époque) l’absence totale de discussion autour du mariage et de la maternité et vous obtenez une jeune fille centrée sur elle et sur la carrière qu’elle pense construire un jour.
La vérité est un peu plus profonde que ça. Elle l’est toujours.
C’est trop facile de ne regarder qu’à l’extérieur pour expliquer son manque de vision ou l’absence de remise en question de ses idéaux.
Je me détestais, profondément.
J’étais insécure à peu près sur tout me concernant et je ne voyais absolument pas l’utilité de perpétuer ce sentiment.
Comment, en partageant la moitié de mon ADN, allais-je pouvoir créer un être qui se sente mieux dans sa peau que moi ?
Comment, alors que je n’arrivais pas moi-même à me porter, allais-je bien pouvoir aimer, élever, transmettre à quelqu’un à l’extérieur de moi ?
Merci mais non merci encore une fois.
Et puis j’ai rencontré leur père.
L’âge adulte arrive plus vite qu’on ne le pense.
Les premières chambres étudiantes, l’indépendance, la vraie, la première carte bleue, le premier salaire, les copains, les voyages, les études, les soirées à réviser ou à danser.
La vraie vie qui commençait enfin.
Et qui correspondait à ce à quoi je rêvais les après-midis où j’étais punie et où je regardais par la fenêtre de ma chambre les 3 arbres centenaires du parking en comptant leurs feuilles ou les branches, suivant la saison de ma punition.
J’étais enfin libre.
Et autant vous dire que fonder une famille, c’était le niveau moins 8000 de mes priorités.
J’avais 20 ans et tout ce qui me préoccupait (un peu) c’était la profondeur de mon découvert, ma prochaine mission de travail, l’exposé d’institutions politiques que je n’avais pas encore préparé et mon partiel de microéconomie.
Et puis je suis partie,
pour de vrai.
J’ai mis 2 continents entre mes parents et moi et j’ai vécu un an à Hong Kong.
Et en rentrant, tout ou presque avait changé.
L’été de mes 21 ans, et alors que j’ai pris 10 ans de maturité en vivant très loin, je rencontre Ghiles.
Celui qui deviendra mon mari et le père de mes enfants.
Et je crois que c’est la seconde que j’ai vue avant la première.
Je n’ai jamais voulu être maman, jamais, jusqu’à le rencontrer lui.
Cet été-là, il y a presque 14 ans, on décide d’ailleurs du prénom de notre fils qui ne naîtra que 6 ans après :
si Dieu nous en donne un un jour, il s’appellera Eyden.
Ce n’est pas « que » extrêmement romantique.
Ce sont aussi nos manques, nos blessures, nos lacunes qui nous rassemblent,
surtout la vingtaine à peine entamée.
Et probablement ce qu’on voit chez l’Autre qu’on pense ne pas avoir pour soi qui nous attire fortement.
C’est en tout cas le début de l’histoire.
Et puis il a été temps.
Je ne me suis pas sentie prête par un certain montant sur mon compte en banque,
par un travail personnel thérapeutique ou autre grosse réflexion logistique.
Ce n’était d’ailleurs PAS DU TOUT le moment.
On rentrait fauchés d’une année de vadrouille en Asie du Sud-Est,
je ne travaillais pas,
on s’installait à peine de nouveau dans un appartement
et pourtant… C’était notre moment.
(Un petit clin d’œil à tous les calculateurs sur des fichiers Excel et tous les planificateurs professionnels :
il n’y a pas de bonne ou de mauvaise façon de faire.)
Pourquoi je vous raconte tout ça ?
Parce qu’il est difficile pour moi de vous dire quand je suis devenue maman.
Est-ce que je l’ai toujours été en refoulant cette idée pendant que j’étais une jeune adulte ?
Est-ce que je le suis devenue en rencontrant leur père ?
Est-ce que je l’étais enceinte ?
Est-ce que je le suis devenue en séparant mon corps de celui de mon premier bébé quand j’ai accouché ?
Est-ce que je l’ai été en sortant de mon baby blues ou de ma dépression post-partum ?
Est-ce que je le suis vraiment aujourd’hui à 100 % ?
C’est arrivé probablement à tous ces moments
(d’ailleurs je me demande si tu l’es, à quel moment tu l’as ressenti pour toi ?)
mais toutes ces étapes me semblent indispensables et indissociables à ce nouvel état.
Ce qui est certain,
c’est que ça prend une réalité différente quand tu l’annonces à ton entourage.
Et même si j’ai, comme tout le monde, eu affaire à des comportements décevants,
des ruptures amicales,
des gens obsédés par le fait que « rassure-moi, ça ne va rien changer »,
j’ai eu le plus beau des conseils
et je ne garde que ça aujourd’hui,
et j’aimerais vous le transmettre avant de continuer.
Quand nous avons annoncé à mon père que nous attendions notre premier enfant,
il nous a dit ceci :
« Ne vous inquiétez jamais pour votre subsistance.
Cet enfant n’est pas encore là mais sa subsistance,
et la vôtre à travers son existence à lui,
a été écrite avant même qu’il n’arrive.
Un enfant n’appauvrit jamais ses parents.
Ni en temps, ni en argent.
Si vous mettez cette croyance au centre de votre vie,
alors vous allez vivre une très belle vie de famille. »
6 ans après,
ce sont encore des paroles qui rythment ma vie de famille
et que je dis systématiquement, à mon tour,
à tous ceux qui deviennent parents autour de moi
et que je vous laisse ici.
Mon père nous a beaucoup transmis
mais je crois que cette phrase restera une de mes préférées à jamais.
Allez, assez d’introduction non ?
Et si on rentrait dans le dur ?
Le 25 mai 2019,
deux jours après avoir fêté mes 28 ans
et après 5 petites heures d’un travail auquel je n’ai rien compris
(il fallait me voir essayer de respirer ou de pousser alors que je n’avais pas la maîtrise de mon corps du tout),
Eyden, déjà grand, est né.
Je n’ai réussi à visionner la vidéo de mon accouchement qu’un an et demi après avoir donné naissance
(oui j’ai la vidéo de mes deux accouchements, judge me i don’t care).
Et alors que j’adore regarder celle de Leyel,
celle de Eyden reste difficile à visionner.
Encore aujourd’hui.
Lorsqu’on me pose Eyden sur la poitrine, à 11h20 du matin,
c’est la sidération, le choc et la terreur qui se lisent de façon très claire sur mon visage.
Pas l’amour.
Pas la gratitude.
Pas le soulagement.
Pas le bonheur.
La peur.
Tout mon corps se fige.
Et je pleure, oui.
On me félicite, oui.
Mon corps est là, oui, et il tient mon bébé, oui…
mais mon esprit est parti très loin.
Je n’ai absolument aucune idée de ce qui est en train de m’arriver
mais je comprends immédiatement que ma vie ne sera plus jamais la même
et que plus jamais je ne pourrai retourner en arrière
et je suis… terrifiée.
Et je plonge dans le paradoxe de la maternité.
Le devoir m’appelle, me guide
et guide absolument toutes mes pensées
et chaque minute de ma vie
qui se décentre complètement de qui je suis
et se centre sur Eyden :
L’allaitement
Son sommeil
Sa propreté
Son confort
L’amour qu’on lui porte
Son rythme
Il est au centre de tout ce qui me traverse l’esprit.
Plus rien n’a d’importance.
D’ailleurs comment peut-on continuer à penser à des choses triviales de la vie comme :
penser à où on va sortir,
à ce qu’untel ou untel traverse avec son crush,
au dernier dossier que tu as laissé ouvert au boulot,
au temps qui passe,
à la météo,
à ton dernier épisode laissé sur pause ?
PLUS. RIEN. N’A. D’IMPORTANCE.
Mais ce 25 mai 2019,
une partie de moi s’éteint aussi brutalement dans cette salle d’accouchement
au même moment que naît ce sens du devoir et cet amour que je n’ai encore jamais connu.
Et je ne comprends pas très bien ce que c’est sur le coup.
Est-ce que c’est le champ des possibles ?
Est-ce que c’est la liberté d’être et de faire ?
Est-ce que c’est l’innocence ?
Est-ce que c’est la possibilité de se tromper ? De mal faire ?
Est-ce que c’est le vide et la possibilité de ne rien faire ?
Tout ce qui est sûr,
c’est que je vais majorer ce nouveau rôle.
Je vais être la meilleure mère possible.
Je suis dans le FAIRE.
=> Et je n’existe plus.
Tout comme je n’ai été qu’un vecteur pour permettre à son corps de se former,
je deviens un vecteur pour le nourrir et le faire grandir.
Je deviens sa maison pour le rassurer,
lui qui est un bébé qui pleure beaucoup.
Je veux réparer en 3 semaines de vie tout ce que j’estime n’avoir pas eu dans ma vie.
Je veux qu’il ait TOUT et TOUT DE SUITE.
Pourquoi attendre ?
Je PEUX le faire,
autant s’y atteler sans attendre, non ?
Et comme il faut absolument faire comme si on avait jamais eu d’enfant pour être socialement acceptable par l’extérieur (dont pourtant on se fout, mais on ne peut pas échouer et tomber dans la seule identité maternelle),
je continue à faire en dehors aussi.
À J+6 de mon accouchement
et alors que je tiens à peine debout,
je traverse Paris pour faire un entretien et décrocher ma première mission en freelance.
À J+7 je conduis seule avec Eyden dans ma petite Twingo pour rencontrer les gens
et je fais « tout ce que je faisais avant, comme avant».
Je vis deux temporalités,
deux identités.
Je suis partout.
Je suis nulle part.
Et c’est ma santé mentale qui finit par en prendre un coup.
La naissance, réouvrir les vannes de ce qui est resté enfoui.
J’aime souvent dire ou écrire “c’est quand la dernière fois que tu as fait quelque chose pour la première fois ?”.
Rien ne me paraissait, à juste titre, plus nouveau que le fait de donner naissance. La grossesse est progressive, plus ou moins douce mais progressive.
L’accouchement c’est… un instant ton bébé est en toi, l’instant suivant il ne l’est plus.
C’était réellement : faire quelque chose de nouveau pour la toute première fois de toute ma vie.
Et ça me terrifiait pour pleins de raisons mais pas pour celle qui finira par m’affecter le plus.
L’accouchement, ce moment si particulier, presque entre la vie et la mort, peut aussi raviver des traumas d’ordre sexuel passés.
Vécu dans la douleur, la peur ou la perte de contrôle, il mobilise — dans une autre dimension — le même territoire intime.
Et le corps y est particulièrement vulnérable, souvent dans un rapport déséquilibré de pouvoir : procédures d’urgence, corps médical qui décide pour la mère…
Le corps peut revivre une intrusion et réveiller des mémoires inconscientes.
C’est aussi ce que cette première maternité m’a fait traverser.
Toujours dans la honte et le silence.
C’était mon combat à moi, en dessous de toutes les couches visibles par l’extérieur.
Parce que ce que l’extérieur voyait, c’était une jeune maman active,
qui allait dîner,
se balader,
conduire,
qui avait repris le travail et sa vie sociale,
arrivait à se doucher à peu près tous les jours,
allaitait exclusivement,
s’était même lancée dans la rénovation entière de sa maison…
Bref, la preuve — encore — que tout est toujours plus complexe que ce qu’on pense ou ce qu’on voit / montre à l’extérieur.
La preuve aussi que c’est vraiment possible de fonctionner tout en essayant d’aller mieux
et de naviguer une période de sa vie qu’on a hâte de laisser derrière soi.
Continuer d’être une professionnelle efficace, concentrée et utile.
Continuer d’être une amie présente malgré la fatigue physique et émotionnelle.
Continuer d’être une épouse féminine et proche de sa sexualité
Continuer d’être une femme en dehors de l’enfant qui ne peut survivre sans toi.
Continuer d’être en redéfinissant ton identité tout en ne sachant que trop peu ce que la suite réserve.
Tout ça, dans un océan d’expériences qui ne reflètent, à priori, pas le paradoxe de ce que tu vis parce que personne n’en parle vraiment.
Il y a celles qui vivent très bien ce passage.
Il y a celles qui rêvent d’y passer.
Il y a celles qui sont en deuil d’une grossesse qu’elles n’ont même pas eu le temps d’annoncer.
Il y a celles qui se demandent si elles peuvent même concevoir.
Il y a celles qui ont été forcées d’abandonner le projet de fonder une famille
Il y a celles qui veulent encore trouver la bonne personne pour incarner cette fondation.
Et il y a celles qui, comme moi, on voulu très fort à ce moment là ce passage, se sentaient prêtes et n’avaient pas vu arriver le tsunami qui les a frapper.
Le baby blues avait laissé place à une dépression post partum sourde qui avait beaucoup abimé mon mariage jusqu’au moment où :
“il y a ce qui nous arrive et … ce qu’on en fait”.
Et que pour aller mieux, il fallait visiblement faire quelque chose que je n’avais encore jamais fait.
Parce qu’au fond, en réalité, je n’avais aucune envie de monter dans un avion et de partir très loin de cette famille que nous avions construite.
Parce qu’au fond, même si j’étais épuisée et que je cherchais dans mes souvenirs la vie d’avant, je n’avais aucune envie d’y retourner.
Parce qu’au fond, mon fils avait aussi fait naître la meilleure version de moi à ce jour et m’avait réconciliée avec
la vie,
le champ des possibles,
le bonheur simple,
le rire qui vous fend le coeur de joie,
l’avenir et l’amour dans une profondeur que je ne pensais pas possible.
Il devait bien y avoir un monde où on pouvait tout concilier.
Et c’était vrai. Et c’est ce que j’ai ensuite fait pour moi et pour Brille dans les années qui ont suivi.
Ce matin, (parce qu’il m’aura fallu une petite semaine pour vous écrire ces mots), Eyden, du haut de ses presque 6 ans, est venu me dire bonjour du bord du lit après une nuit complète de sommeil comme il en fait maintenant depuis des années.
(Il y a 6 ans je n’aurais JAMAIS pensé écrire ces mots un jour)
J’ai même du mal à me souvenir quand était la dernière nuit où j’ai mal dormi “à cause de lui”.
Il se love dans mes bras et me dit qu’il va descendre écrire des lettres à ses copains.
C’est sa lubie du moment : faire des dessins et les placer dans des petites enveloppes de papier, fermées avec des autocollants qu’il vient piquer dans mon stock pour mes ateliers.
J’ai le temps d’ouvrir les yeux tranquillement sur sa sœur, qui est venue me rejoindre dans la nuit et dort encore à poings fermés.
Parce que oui, ça nous arrive aussi, de recommencer.
Une nouvelle grossesse, une nouvelle naissance, un nouvel enfant, une autre expérience de la maternité.
Pas meilleure, mais différente.
Comment et pourquoi ?
Parce que les périodes de trop pleins et de chocs sont aussi des moments d’éveil pour se regarder vraiment en face.
Parce qu’il y a « ce qui nous arrive »
et « ce qu’on décide d’en faire ».
Parce qu’il y a « la douleur qu’on connaît »
et « le champ des possibles »
de l’autre côté d’un travail d’introspection —
avec la ou les bonnes personnes certes —
mais surtout avec soi.
Avec honnêteté.
Avec patience.
Avec courage.
Aujourd’hui, je sais qu’on ne revient jamais tout à fait à celle qu’on était.
Et c’est très bien comme ça.
La maternité ne m’a pas rendue meilleure.
Elle m’a rendue plus vraie.
Et parfois, c’est tout ce dont on a besoin pour recommencer à marcher.
Pas dans la perfection.
Mais dans la présence.
Pas pour faire plus.
Mais pour être là.
Et dans cette présence,
entre deux dessins dans une enveloppe piquée dans mes stocks,
entre deux câlins en silence,
et ces instants où l’on se regarde vraiment,
je comprends.
Qu'on ne rate rien dans la vie.
Qu'on ne perd rien non plus.
Qu'on traverse le temps du mieux qu'on peut.
Et que tout ce qui a semblé me briser
m’a doucement, patiemment, reconstruite.
Je suis encore, en train de devenir maman.
Un peu plus tous les jours
dans les heures sans sommeil profond,
dans les doutes
dans les décisions claires
dans les rires
dans l'épuisement parfois
dans les traditions et les souvenirs
dans les rencontres
dans le village qui change
et celui qui a tout commencé,
c'est ce premier né.
Alors, à toi mon Eyden,
qui m’a vue pleurer à même le sol ce matin-là,
et qui m’a dit simplement :
« Je suis là maman »,
sache que je serai toujours là moi aussi.
Souvent pas comme tu l'aurais voulu,
Mais toujours du mieux que je peux.
Merci de m’avoir choisie.
Merci pour ta lecture bienveillante de ce (très) long article.
Comme d’habitude, j’adore savoir quel est ton passage préféré.
N’hésite pas à me le partager sur instagram
Je sais que ces mots ne parleront pas à tout le monde et c’est ok, j’ai essayé de faire au mieux mais je suis humaine et je peux, aussi, heurter sans le vouloir.
Je tiens à dédier ces mots, aussi, à tous les premiers nés qui me lisent.
A vous, les aînés des familles qui avez, sans le vouloir, été de grandes leçons pour vos parents.
A vous qui les avez plongé dans un nouveau chapitre de leur vie.
A vous qui, par votre seule présence, avez transformé une lignée.
Ce n’est pas facile d’être vous et on a souvent mal fait, alors au nom des parents qui nous ont précédé et de ceux qui nous suivront : pardon. La résilience qui vous anime aujourd’hui est aussi le fruit de notre ignorance et de notre apprentissage permanent à vos côtés.
Je vous dis à très vite
Et prenez soin de vos coeurs